Souveraineté numérique : un enjeu aussi stratégique que silencieux
Microsoft et la Cour Pénale Internationale

En mai 2025, Karim Khan, président de la Cour Pénale Internationale, s’est retrouvé privé d’accès à sa messagerie professionnelle. L’incident aurait pu passer pour une simple panne technique. Il s’agissait pourtant d’un acte volontaire, orchestré par Microsoft à la demande du gouvernement américain.
En cause : les poursuites engagées par la CPI contre des hauts responsables israéliens, considérées comme inacceptables par l’administration Trump. Résultat : l'application immédiate de sanctions américaines, dont la suspension de certains services Microsoft à destination de la CPI.
Cet événement marque un tournant. Pour la première fois, un fournisseur cloud a appliqué une décision géopolitique unilatérale, affectant une juridiction internationale. Et cela sans passer par une procédure judiciaire, sans notification préalable, sans recours possible.
Ce que cela révèle : une dépendance technique doublée d’un risque juridique
L’incident de La Haye révèle une vérité dérangeante : les outils numériques critiques des institutions (et de nombreuses entreprises) sont parfois sous le contrôle juridique d’acteurs étrangers, notamment américains.
Le Cloud Act (2018) permet déjà aux autorités américaines d’exiger des fournisseurs comme Microsoft, Google ou Amazon l’accès à des données, y compris hébergées en dehors des États-Unis. La situation de la CPI pousse cette logique encore plus loin : on ne parle plus seulement d’accès, mais de suspension unilatérale de service.
Dans ce contexte, l’hébergement souverain ne peut plus être relégué au rang de simple préférence éthique ou politique. Il devient une assurance fonctionnelle : celle de garantir la continuité des services numériques, quelles que soient les décisions étrangères.
Et sur le plan juridique, le problème va encore plus loin.
Les grandes entreprises américaines comme Microsoft ont publiquement reconnu qu’elles étaient tenues, en vertu du Cloud Act, de transmettre les données aux autorités américaines, même lorsque ces données sont stockées en dehors des États-Unis. Cela signifie que toute entreprise européenne hébergeant ses données auprès d’un acteur américain se trouve, de fait, dans l’impossibilité de respecter pleinement le RGPD — un règlement pourtant obligatoire pour toutes les structures opérant au sein de l’Union européenne.
L’exemple européen : vers une désaméricanisation progressive
Face à cette réalité, certains États prennent position. En juin 2025, l’Allemagne et le Danemark ont annoncé leur volonté de quitter l’écosystème Microsoft pour migrer vers des environnements open source (Linux, LibreOffice, Nextcloud, etc.).
Motifs évoqués :
- Sécurité des données administratives ;
- Maîtrise des infrastructures critiques ;
- Réduction des dépendances vis-à-vis des éditeurs US.
Ce n’est pas un rejet idéologique, mais une réévaluation pragmatique des risques. Des solutions souveraines, bien que parfois moins intégrées, offrent une meilleure visibilité sur les flux, les contrats, les mises à jour, et surtout les responsabilités.

L’affaire Agnès Buzyn et la dépendance à Microsoft pour les données de santé
Lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale sur la commande publique, en juin 2025, Agnès Buzyn a reconnu que l’hébergement par Microsoft du Health Data Hub en 2019 était "le seul choix réaliste" à l’époque. Le recours à un hébergeur américain était motivé par l'absence d'autre solution techniquement mature, malgré une conscience aiguë des enjeux de dépendance juridique, notamment liés au Cloud Act
Elle a expliqué :
« Dès le départ, nous nous sommes posé la question […] et nous n’avons pas cessé de pousser à essayer de trouver une autre solution », mais en dépit des études conduites pendant plusieurs mois, Microsoft restait la seule option viable »
Aujourd’hui, alors que l’État lance un appel d’offres pour un hébergeur "intermédiaire" souverain, cette affaire montre que même dans des secteurs sensibles comme la santé publique, la dépendance technique a des implications juridiques et stratégiques. Ce cas illustre que, parfois, la souveraineté numérique relève moins du choix que de la nécessité — une nécessité que nous devons tous anticiper car les risques évoqués ici ne se limitent pas à une coupure d’applications. Ils touchent :
- L’intégrité des données hébergées dans des clouds extraterritoriaux,
- La continuité des services dépendants d’APIs tierces,
- La réversibilité des solutions SaaS utilisées,
- Et la capacité à auditer ou contester une rupture de service venue d’ailleurs.

Que faire ? Aller vers une architecture plus maîtrisée
Sans basculer dans l’autarcie numérique, il est temps d’amorcer une réflexion lucide :
- Où sont physiquement hébergées vos données ?
- À quelle législation est soumis votre fournisseur ?
- Votre fournisseur est-il en mesure de couper unilatéralement un service ?
- Votre prestataire d’hébergement vous garantit-il une indépendance fonctionnelle en cas de crise ?
Ce sont des questions auxquelles nous avons réfléchi chez Cognix Systmes. Et auxquelles nous répondons en proposant des solutions :
- Héberger exclusivement en France ou en Europe ;
- Nous baser sur des standards ouverts et interopérables ;
- Piloter sans dépendance à un éditeur unique ;
- Travailler avec des équipes support basées en France, formées et réactives.
La souveraineté numérique, c’est plus que de l’infrastructure
C’est un choix stratégique, de long terme. Celui d’éviter de se retrouver demain dans la même situation que la CPI ou un ministère. Celui d’assurer à vos utilisateurs, vos agents, vos clients ou vos citoyens un accès continu, fiable et sécurisé à vos services numériques.